[Vendanges du beaujolais à Saint-Etienne-des-Oullières...

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRPT3554 01
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 20 x 15 cm (épr.)
historique Le mois de septembre a été on ne peut plus chaleureux - doux euphémisme pour dire que le soleil a tapé dur sur le Beaujolais - et c'est de l'or qui est rentré dans les cuves. Tous les spécialistes de la vigne sont au moins d'accord sur ce premier point. Bien sûr, voilà un langage que l'on entend chaque année : le beaujolais sera bon, le beaujolais est bon. Seulement, pour 1987, ce n'est pas l'adjectif "bon" que l'on utilise, mais... "excellent". Les vignerons sont donc condamnés à faire du bon vin et, si la météo persiste dans ses bonnes résolutions, on pourra utiliser le qualificatif extraordinaire. Ceci étant, la récolte ne sera pas grosse et il s'agira de compter ses raisins, des raisins de dames dont la fécondation s'est mal faite, en juin [1987], au moment de la floraison. Les grumes sont donc petites, encore un élément positif que retient notamment le père Gobet, figure installée à Saint-Etienne-les-Oullières, la commune natale du président Canard (Union interprofessionnelle). Le père Gobet est depuis dix ans à la retraite, portant sans difficulté aucune ses 74 ans. Prisonnier de guerre pendant treize mois, il a en effet devancé l'appel à la retraite, tout comme il l'a fait pour son fils, envoyé sous les drapeaux à 17 ans, afin qu'il prenne la relève dans les temps. Les rides à peine apparentes, il ne peut s'empêcher de venir quotidiennement sur l'exploitation. Pas question d'avoir des regrets, de lancer des critiques ou de ne pouvoir se retirer du métier, il est seulement présent, heureux d'être toujours sur ces terres qu'il aime passionnément, se contentant de constater une évolution inéluctable ou pas, le propos n'est pas là. "Je suis rentré comme domestique en 1937. Celui qui aurait dû être mon beau-père est mort subitement et, comme je fréquentais la demoiselle de la famille, la mère m'a demandé si c'était sérieux, si j'étais prêt à prendre la relève. J'ai répondu : 'Pourquoi pas'. Et voilà. Je me suis retrouvé à la tête de cette maison bâtie par l'arriére-grand-père de ma première femme. Ma première récolte, en 1938, a d'ailleurs été une catastrophe. Je me suis marié le 25 avril et on avait droit à une gelée le premier mai". Question succession, l'histoire s'est d'ailleurs répétée, d'une certaine façon, dès la génération suivante. L'une de ses deux filles s'est en effet mariée avec un domestique, devenu gendre et vigneron par l'action conjointe de l'amour et du goût de la terre. Le père Gobet tire d'ailleurs une double satisfaction, une véritable fierté de sa vie : ses quatre enfants sont dans la profession (par gendres interposés pour ses deux filles) et il a toujours réussi à vendre son vin plus cher que la moyenne. Mais, pour autant, tout ne va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Parti récemment pour un petit viron en Savoie, il n'a pu s'empêcher de commander une bouteille de beaujolais-village, après avoir tâté et goûté d'un vin blanc local. Et là, stupeur, putréfaction... et tout le reste. "S'il y a quelque chose qui me chagrine, c'est qu'il n'existe aucun contrôle a posteriori. Ce beaujolais en question, avec une belle étiquette et tout, c'était de la véritable bibine. Ca fait mal au coeur de voir de pareilles bouteilles sur le marché ! A soixante-quatre francs en service de restauration, passe encore pour le prix, mais quelle déception, parce que ce n'est pas tous les jours qu'on sort. Et tomber sur de la bibine. C'est le même problème dans les cafés, même dans la région. De vrais fainéants ces cafetiers. Et ils retirent la capsule et le bouchon de plastique devant vous, sans pudeur. Alors, pour boire un coup, on va toujours à la cave coopérative". Reste que les considérations portent surtout, maintenant, sur la récolte à venir, celle de 87, "qui ne vaudra peut-être pas celle de 1976, mais qui sera mieux qu'en 1983". La vendange commence aujourd'hui, elle aurait pu débuter dès hier, mais le service d'entraide a fonctionné pour un collègue qui vient d'être opéré du coeur. Alors, on s'est donné la main, à une quarantaine, dans le vignes voisines. "Mais ce n'est vraiment pas un problème" soutient le père Gobet qui, prenant son rôle de guide au sérieux, a laissé son fils aller chercher la troupe au TGV de Mâcon. "Il y a trois semaines on pensait que tout était fichu, ça commençait à pourrir. Et septembre a tout sauvé. Pour le sucre, on a assez employé les betteraviers l'an passé pour les laisser tomber cette année. Cette récolte va me plaire. L'an passé j'étais découragé, on ramassait de la camelote. Mais là...". Et de recommencer à se pencher sur sa vigne préférée (l'une des vignes-tests de la SICAREX), la plus ancienne, plantée en 1914. "Je les aime toutes, ces vignes, mais celle-là a toujours eu une qualité exceptionnelle même si elle n'avait pas le meilleur rendement. Avant l'arrivée du désherbant elle était impossible à travailler. A cette époque-là il n'était pas nécessaire d'avoir six ou sept hectares par personne pour vivre. On avait besoin de moins. On se trouve alors devant une cuve vieille de 120 ans, une merveille ou les cercles ne sont pas de fer mais en peuplier. "Celui qui l'a faite, il n'a sûrement plus mal aux dents" souligne le père Gobet, rejoint par les responsables de la cave de Nety. Le cuvage a d'ailleurs été construit avant le château, qui date de l'époque du père Lachaise. "On n'avait pas les moyens de moderniser. Reste que dans les foudres (en bois), les vins vieillissaient bien. Question d'époque. Il faut de l'argent, beaucoup plus que de notre temps où l'on travaillait avec le cheval. Et on n'avait pas de voiture, de télévision, de machine à laver. Dans la famille Gobet, métayers de toujours, on est fier de faire son vin. Pas question de coopérative. On en reconnait les mérites pour les vignerons possédant peu de terrain, c'est tout. "Ça rend service pour les petites exploitations, mais de producteur de vin on devient producteur de raisin. Si le vin n'est pas bon, c'est la faute au gérant, aux autres... ". II est vrai qu'avec leurs quinze hectares (à partager entre les deux fils), le problème ne se pose même pas pour les Gobet. Le patriarche préfère "se souvenir" des meilleures années : "1973, une bonne qualité et pas une grappe pourrie. En qualité, le maximum a pourtant été atteint en 1947, du vin qu'on a gardé pendant trente ans au lieu des dix ans maximum". Si la récolte de 1947 reste la référence, il y a aussi les moins bons souvenirs d'une carrière s'étalant sur quarante ans. "Le plus triste, c'est peut-être le départ à la guerre et le fait d'abandonner ces terres que je venais de prendre en charge. Et puis, il ne faut pas oublier 1956 : sur neuf hectares de vignes on avait sorti seulement 70 litres de vin. Et encore, la plupart des vignerons avait été obligé de vendre à la vinaigrerie ! Cette année avait été infernale, on avait eu droit à la gelée, puis à la grêle le 17 juillet, sans compter les vers pour finir". A Saint-Etienne-les-Oullières, on se préoccupe maintenant de la récolte à venir, de ces promesses de vin riche en constituant, de ces bouteilles que l'on va être content de garder soigneusement. Comme a dit quelqu'un : "Les gendarmes ne feront plus souffler dans un ballon, ils vont offrir des mouchoirs pour tirer les verres du nez". Source : "Il sera vraiment bon !" / Laurent Perzo in Lyon Figaro, 23 septembre 1987, p.3-4.

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